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Surpopulation carcérale, mauvaises conditions d’hygiène et de sécurité, montée de la radicalisation islamiste... De plus en plus de détenus se plaignent de leurs conditions de détention dans les prisons. Parallèlement, les surveillants pénitentiaires dénoncent également leurs conditions de travail et multiplient les manifestations afin de faire entendre leurs revendications. Aujourd’hui deux « camps » s’affrontent, pour finalement s’accorder sur un point : il faut que les choses changent. 

 

« J’étais traitée comme une moins que rien » explique Dehlia, ex-détenue de la maison d’arrêt de Sequedin dans laquelle elle aura passé sept mois de sa vie. La raison de son incarcération : violences sur son compagnon. A l’heure d’effectuer sa première journée en prison, la jeune femme se disait « prête » même si « la peur et l’angoisse » la glaçaient. Aujourd’hui, alors qu’elle a quitté les murs de Sequedin depuis décembre 2013, son ressenti est sans équivoque : attaques verbales, insultes et rumeurs de la part des surveillantes de prison ont rythmé son quotidien. Pire encore, elle dénonce le manque d’humanité et d’empathie de certaines « gardiennes ». Elle raconte également comment, pendant son séjour en prison, elle a partagé sa vie avec des rats, la crasse et les odeurs insupportables.

 

Josina Godelet, quant à elle, a effectué une peine de trois mois suite à une affaire de chèques falsifiés et de fausse identité. Aujourd’hui, elle est retournée vivre chez elle auprès de son mari et de ses cinq enfants, portant un bracelet électronique à la cheville. Mais derrière les grands murs de la prison, le temps était « très long » explique-t-elle. « Avec deux balades d’une heure par jour autorisées, il fallait tuer le temps, moi j’ai choisi d’écrire ». Et dans son journal de bord elle dénonce ses conditions de détention « déplorables » mais ce qui la laisse la plus amère, c’est d’avoir été mélangée avec des détenues bien plus « dangereuses » qu’elle, « des tueuses ou des pédophiles » rajoute-t-elle.

 

Racket, petite délinquance et trafics favorisés

 

Delhia et Josina ont en effet partagé un morceau de leur vie avec Anne-Sophie Faucheur, « une vraie criminelle » selon leurs dires. Anne-Sophie Faucheur a été incarcérée pour le meurtre de sa fille en juin 2009 et a écopé de 30 ans de réclusion. Une peine lourde comparée à celles imposées à Josina Godelet et Dehlia. Un réel problème qui secoue aujourd’hui l’établissement de Sequedin et plus généralement les prisons françaises. Est-il acceptable que des détenus qui ont obtenu des peines très variables se côtoient quotidiennement ? Et surtout quelles sont les conséquences sur le comportement de ces derniers ?  Le 30 novembre 2014, le rapport Raimbourg, du nom du député chargé par Manuel Valls, d’étudier les conditions de détention, précise d’ailleurs : « Favorisant une grande promiscuité, la surpopulation et l’absence de placement en cellule individuelle, facilitent le racket, les trafics divers, les violences et renforcent l’influence des plus déterminés des délinquants sur les pus fragiles. »

 

Laura Campisano, ancienne avocate au barreau de Lille explique dans son mémoire intitulé « La dignité du prévenu en détention provisoire en France », que tous les détenus « sont mélangés sans distinction : quels que soient leur âge, leur origine, leur langue, la raison de leur présence, dans les 12 mètres carré qu’ils partagent avec trois ou quatre détenus, sans rideau de séparation entre la pièce « à vivre » et les sanitaires ».  Un mélange des détenus qui peut mener à la récidive. En 2013, l’INSEE a publié un rapport accablant sur les chiffres de cette dernière : entre 2004 et 2011, près de quatre condamnés sur dix sont des récidivistes. Delhia le confirme d’ailleurs en expliquant comment à l’intérieur de ces murs, elle a failli « passer du mauvais côté, craquer et commettre l’irréparable. » « La prison c’est l’école du crime », ajoute-t-elle. 

 

La surpopulation carcérale empêche d’agir

 

Et si les surveillants pénitentiaires sont conscients de ce problème, ils ne disposent pas de moyens suffisants pour pouvoir agir. Stéphane Lecerf est surveillant pénitentiaire et responsable du syndicat UFAP-UNSA à la maison d’arrêt de Sequedin. « C’est de plus en plus compliqué pour nous. Tous les détenus sont mélangés. Ça les rend plus violents.» Mais ce mélange est inévitable. En cause, la surpopulation carcérale qui ne permet pas de « classer » les détenus et qui empêche surtout de prendre du temps pour chacun d’entre eux. Ainsi, les détenus ne peuvent être suivis individuellement. Détecter la radicalisation de l’un ou la montée de violence de l’autre est quasi mission impossible pour des surveillants qui à Sequedin ont à leur charge près de 110 détenus. La logique voudrait qu’ils aient à s’occuper de 80 détenus environ. Aujourd’hui, ils sont 850 à occuper les cellules alors que la capacité d’accueil de l’établissement est seulement de 530.

 

Dans le Nord-Pas-de-Calais, on compte plus de 5052 détenus sur l’ensemble des prisons. Si les normes étaient respectées, la région ne devrait en compter que 4094. Les chiffres sont également inquiétants au niveau national puisqu’au 1er octobre 2014, 66 494 détenus peuplaient les prisons françaises mais uniquement 58 054 places étaient disponibles, selon les chiffres de l’administration pénitentiaire. Alors qu’une loi de 1875 prône l’encellulement individuel, la France est pour l’instant loin du compte. L’article 716 du coe pénal prévoit que « les personnes mises en examen, prévenus et accusés soumis à la détention provisoire, sont placées au régime de l'emprisonnement individuel de jour et de nuit ». Pourtant, comme le confirme Stéphane Lecerf : « à Sequedin, certains détenus se retrouvent à trois dans une cellule de 9m2. A partir de ce constat on ne peut pas faire grand chose ». Une proximité entre les détenus, qui nuit aux surveillants mais également aux détenus. L’un ne pouvant travailler correctement, l’autre ne pouvant jouir de ses droits, c’est à dire des conditions de détention décentes.

 

 

« J’ai perdu toute mon humanité avec les détenus. »

 

 

Le rapport Raimbourg précise également qu’à la date du 28 octobre 2014, sur les 66 522 personnes détenues hébergées, seulement 26 341 bénéficiaient d’un encellulement individuel soit environ 40% de la population détenue totale.  La maison d’arrêt de Sequedin est sévèrement touchée par ce phénomène, mais cela est uniquement visible dans le quartier hommes. Pour Stéphane Lecerf, les prisons manquent également de personnel. « Il n’y a pas grand monde qui veut venir travailler dans ce secteur. » Victime de clichés, la profession manque cruellement de candidats à cette mission. Selon Stéphane Lecerf, la solution serait de « lancer une énorme campagne de recrutement », en montrant les réelles conditions de travail. « Il faut tenter de changer l’image que les gens ont de nous aujourd’hui. On passe pour des brutes mais ce sont nos conditions de travail qui nous poussent aujourd’hui à paraître si rudes. » Car aujourd’hui, quasiment aucun ne devient surveillant pénitentiaire par désir, la plupart le devienne par reconversion professionnelle. L’essence même du métier est remise en question puisqu’impuissants et peu nombreux, les surveillants ne peuvent faire leur métier.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Un problème en entraînant un autre, Stéphane Lecerf qui dit souffrir de plus en plus de ces conditions de travail insupportables, avoue également : « j’ai perdu toute mon humanité avec les détenus. Au bout de quelques années de travail dans ce milieu, on apprend à garder la tête froide. » Mais si les surveillants semblent être si distants ou insensibles, ce n’est pas par plaisir explique Stéphane Lecerf. « C’est simplement que le temps nous manque ». Et cette absence d’humanité, de considération, c’est ce qui a marqué Dehlia et Josina Godelet. Encore aujourd’hui Dehlia affirme : « un être humain ne doit pas être traité comme un numéro d’écrou. » Mais les surveillants pénitentiaires n’ont « pas le temps » de prendre le temps justement. Et pire encore, les employés de l’administration sont encore plus sévères quant à leur jugement du système judiciaire aujourd’hui. Au risque de paraître rude, Geoffrey Leciere, 32 ans, surveillant de prison depuis 9 années, affirme : « Je pense que nous sommes parfois moins bien traités que les détenus. La preuve en est : lorsqu’il y a agression par un détenu. C’est le surveillant qu’on déplace et pas l’inverse. Pire encore, l’administration nous abandonne et la direction est à 10 000 lieux de comprendre ce que l’on vit »

 

Qu’ils soient détenus ou surveillants, condamnés à des petites peines ou à la prison à perpétuité, chacun d’entre eux « vit » derrière les murs de l’établissement de Sequedin, chacun y laisse une trace. Aujourd’hui, ce n’est plus seulement le cas des détenus qui fait débat mais également la situation des surveillants de prison, qui chaque jour, de plus en plus, revendiquent des droits. Leur quotidien s’effectue derrière les murs de la maison d’arrêt de Sequedin. Un quotidien de plus en plus lourd à supporter pour ces deux protagonistes qui font de la prison leur « seconde maison ». Comment lutter contre cette dégradation des conditions de détention ? Quelles solutions peuvent-être apportées au problème de la surpopulation carcérale, qui aujourd’hui nuit à l’univers de la prison ?

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Rendre plus sûres les prisons françaises

 

En juin 2013, la ministre de la Justice, Christiane Taubira avait déjà annoncé un plan de renforcement de la sécurité dans les prisons, à la hauteur de 33 millions d’euros. Ce geste avait été notamment encouragé par la multiplication des manifestations des personnels pénitentiaires qui se disaient dépassés par les tentatives d’évasion à répétition et des conditions de travail insupportables. Un manque de sécurité qui avait notamment mené en avril 2013 à l’évasion de Redoine Faïd, de la maison d’arrêt de Sequedin, avant qu’il ne soit finalement retrouvé le 29 mai. Le plan annoncé par Christiane Taubira visait à l’installation de matériels dernière génération notamment des portiques à ondes millimétriques capables de détecter visuellement les objets portés par les individus mais également lorsqu’ils sont cachés dans les vêtements ou encore dans la peau.

 

A Sequedin, les projections d’objets au-dessus des murs de la prison sont également « très fréquents » selon Stéphane Lecerf. « Les visiteurs envoient toutes sortes de marchandises cachées dans des balles de tennis ou autres. Comme nous ne sommes pas assez nombreux, on ne peut pas lutter contre cette mauvaise manie ». La Chancellerie avait donc annoncé vouloir lutter contre ces pratiques avec l’installation de diverses caméras de surveillance mais également de filets censés empêcher le passage de ces objets, considéré comme une véritable « fléau » par le ministère de la Justice.

 

La réforme pénale pour lutter contre la surpopulation carcérale

 

Outre le désir d’améliorer la sécurité dans les établissements, la Garde des Sceaux Christiane Taubira, via sa réforme pénale adoptée en juillet 2014, prône notamment l’instauration de la contrainte pénale. Le ministère souhaite ainsi créer une nouvelle peine en milieu ouvert et non plus nécessairement en prison. Concrètement, le condamné est contraint de respecter un certain nombre d’obligations et est surveillé continuellement. L’objectif est de prévenir la récidive et favoriser à plus long terme la réinsertion professionnelle. Parallèlement, la libération sous contrainte, permet également d’améliorer les conditions de vie des ex-détenus à leur sortie de prison. La libération sous contrainte permet donc aux détenus de bénéficier de mesures d’accompagnements à leur sortie puisque leur situation sera étudiée au deux-tiers de leur condamnation et non plus à son terme.

 

Egalement, la réforme prévoit la suppression des peines planchers instaurées par Nicolas Sarkozy et qui seraient responsables selon la gauche, de la surpopulation carcérale. Dans le Nord-Pas-de-Calais, la maison d’arrêt de Sequedin n’est pas le seul établissement à connaître ce phénomène de surpopulation carcérale. A Arras, par exemple, 264 détenus vivent dans la prison pour uniquement 202 places. A Valenciennes également, le taux d’occupation de la prison est de 161% mais le record revient à Béthune qui accueille 390 détenus pour une capacité de 167. Mais si la réforme pénale fait débat à gauche, elle est totalement raillée par la droite. Stéphane Lecerf, voit en ces mesures, une manière de « fuir le problème ». La solution est selon lui, « de construire plus de prisons, mais le problème est que cela coute cher. Aujourd’hui, un détenu coute à l’Etat environ 100 euros par jour. »

 

Rendre plus agréables les conditions de détention

 

Le 25 avril 2013, la France avait été condamnée pour « traitement dégradant » par la Cour Européenne des Droits de l’Homme. Enzo Canali, un détenu alors condamné pour meurtre en 2006 à la prison de Nancy avait saisi les juges de Strasbourg afin de faire connaître à tous les réelles conditions de détention dans la prison. La France avait alors été condamnée. Si le cas de la prison de Nancy n’est pas exceptionnel, la prison de Sequedin est également touchée par ces conditions de vie jugées « inhumaines » par Josina et Delhia. « Lors de mon incarcération, raconte Delhia, je devais changer de cellule. Normalement, elles sont nettoyées par le personnel lors de chaque roulement. Quand j’ai débarqué, il y avait des poils dans la douche, de la crasse sur la table et surtout les toilettes étaient vraiment très sales. »

 

Le rapport Raimbourg prône, afin d’améliorer les conditions de détention de travailler sur les « concepts architecturaux » des prisons. L’objectif est de rénover ces dernières, en offrant aux détenus un cadre de vie plus agréable. Le rapport propose donc d’augmenter « la luminosité naturelle » des cellules et également des rangements. L’objectif est également d’éviter que les détenus ses sentent trop enfermés. Dès lors, la rapport écrit par le député, propose de créer des espaces sociaux au rez-de-chaussée avec une vue sur la cour. Finalement, le but est de rendre plus aéré l’espace très fermé qu’est la prison.

 

Si les détenus et les surveillants aspirent tout deux, à améliorer leurs conditions de vie dans ce lieu commun qu’ils partagent-la prison- la situation semble dans l’impasse. Surveillants et détenus mais également le monde politique, se sentent de plus en plus concernés par le problème de la surpopulation carcérale sans pour le moment s’accorder sur une solution unique. Tandis que la droite de l’échiquier politique prône aujourd’hui la construction de prisons, la gauche elle, veut tenter de les vider en multipliant les peines alternatives. 

"Personne ne mérite

d'être traitée comme

un numéro d'écrou"

Campagne de recrutement de l'administration pénitentiaire. 

Source : YouTube

Stéphane Lecerf : "L'opinion publique pense qu'un surveillant c'est quelqu'un qui tape au quotidien sur les détenus, nous passons pour des bourreaux". 

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